Le Bénin, longtemps considéré comme l’un des bastions de la démocratie en Afrique de l’Ouest, a été secoué par une tentative de coup d’État qui, bien qu’avortée, a profondément ébranlé le pays et révélé un malaise politique plus profond. Pour beaucoup, cette tentative n’est ni un hasard ni un épisode isolé. Elle serait le fruit d’une dérive autoritaire qui s’est installée au fil des années, sous l’impulsion du président Patrice Talon.
En réalité, cet événement peut être lu comme un signal, un avertissement adressé à un pouvoir qui, depuis trop longtemps, a pris l’habitude de restreindre la compétition politique et d’éliminer — directement ou indirectement — les adversaires jugés gênants. Le coup manqué ne serait alors que la partie visible d’un iceberg plus massif : une frustration grandissante, une tension accumulée et une colère qui déborde lorsque les voies démocratiques se retrouvent bouchées.
Un choc politique aux apparences fulgurantes, mais aux causes profondes
Aux premières heures d’une journée de décembre, des militaires béninois investissent la télévision nationale. Ils annoncent la démission du président, la suspension des institutions, la dissolution du gouvernement. En quelques minutes, le pays retient son souffle. À travers le continent et au-delà, les regards se tournent vers Cotonou. On parle déjà de basculement, d’effondrement démocratique, de mutinerie organisée.
Mais très vite, l’armée fidèle à Talon reprend le contrôle. Les mutins sont arrêtés, l’ordre est déclaré rétabli, et la machine étatique reprend son fonctionnement habituel. Officiellement, ce n’était qu’une « tentative isolée » orchestrée par des « éléments incontrôlés ».
Pourtant, derrière cette version rassurante, une autre réalité s’impose : c’est la première fois depuis des décennies que le Bénin connaît un début de putsch. Or, les coups d’État ne naissent pas dans le vide. Ils trouvent racine dans un environnement politique dégradé, dans des frustrations accumulées, dans des institutions fragilisées.
En d’autres termes, un événement aussi grave ne peut pas être réduit à la simple initiative de quelques militaires égarés.
La dérive autoritaire de Patrice Talon : une démocratie sous tension
Lorsque Patrice Talon arrive au pouvoir en 2016, beaucoup voient en lui un entrepreneur ambitieux, décidé à moderniser l’économie et à rationaliser le fonctionnement de l’État. Mais très vite, son mandat prend une autre tournure. Le président commence à réformer non seulement les secteurs économiques, mais aussi les mécanismes politiques, souvent dans un sens favorable à la concentration du pouvoir.
Parmi les signes les plus marquants de cette dérive :
La répression progressive de l’opposition
Dès les premières années, des figures majeures de l’opposition sont inquiétées par la justice. Certains quittent le pays. D’autres sont condamnés à l’issue de procès contestés. Très vite, le message devient clair : la compétition politique sera strictement encadrée — et de préférence limitée.
Les réformes du code électoral
Ces réformes, justifiées officiellement par la nécessité d’assainir le système partisan, ont eu pour effet concret de réduire drastiquement le nombre de formations politiques éligibles. Résultat : lors des législatives de 2019, l’opposition est tout simplement absente du scrutin. Pour la première fois depuis le renouveau démocratique béninois, le Parlement devient monocolore.
Cette exclusion, vécue comme une humiliation par des millions de citoyens, a constitué un tournant majeur.
L’ingérence dans la sélection des candidats
Selon de nombreux observateurs, le président Talon aurait fini par se comporter comme un chef d’entreprise sélectionnant lui-même ses concurrents. Les partis autorisés à participer aux élections seraient ceux qu’il juge acceptables. Les autres sont disqualifiés pour des motifs administratifs, parfois flous, parfois contestés.
L’épisode le plus récent en date a profondément choqué : l’élimination par des manœuvres juridiques et administratives — du plus grand parti d’opposition, L’Alliance des Démocrates de l’ancien président Boni Yayi, dans la course à la présidentielle. Pour beaucoup, ce fut la goutte de trop.
Quand les portes de la démocratie se ferment, les fenêtres du chaos s’ouvrent
Dans une démocratie saine, les citoyens ont des voies légales pour exprimer leur mécontentement : les élections, les manifestations, les médias, les institutions indépendantes.
Mais lorsque toutes ces voies sont bloquées, ou contrôlées par un seul homme, les frustrations se transforment en braises. Et tôt ou tard, ces braises trouvent un moyen d’exploser.
Dans plusieurs pays africains — du Mali au Niger, en passant par le Burkina Faso ou la Guinée — le même scénario se répète :
autoritarisme croissant,
exclusion politique,
érosion des contre-pouvoirs,
contestation sociale,
puis coup d’État.
Il existe un lien direct entre fermeture de l’espace politique et recours à la force. Tandis que la compétition électorale est étouffée, la compétition militaire s’ouvre. Lorsque le vote n’a plus de poids, c’est la violence qui prend le relais.
Ainsi, la tentative de putsch au Bénin n’est pas un accident de parcours. Elle est le résultat logique d’un système où une seule personne décide qui peut concourir aux élections, qui a le droit d’exister politiquement, qui est digne d’être un adversaire.
Le cas béninois : une bombe à retardement longtemps ignorée
Pendant des années, le Bénin a bénéficié d’une image extrêmement positive sur la scène internationale. On parlait de stabilité, de maturité démocratique, de tradition politique apaisée.
Mais derrière ce vernis, des tensions fortes s’accumulaient. La société se fracturait entre un pouvoir centralisé et une opposition systématiquement affaiblie.
Certains militaires, eux aussi, observaient cette dérive. Les forces armées sont traditionnellement sensibles aux sentiments populaires, et dans un contexte où une partie de la population se sent exclue du processus politique, il n’est pas surprenant que ces frustrations se reflètent également dans les casernes.
Ainsi, le coup manqué peut être interprété comme l’expression d’un mécontentement qui dépasse les seuls putschistes. Il révèle une lassitude plus large, un ras-le-bol face à un pouvoir perçu comme de moins en moins ouvert.
Un avertissement clair adressé à Patrice Talon
Le message envoyé par ce coup d’État manqué est simple :
on ne peut pas indéfiniment fermer l’espace politique, éliminer les adversaires, manipuler les règles du jeu et penser que le système restera stable.
Patrice Talon a peut-être survécu à cette tentative, mais cette survie ne garantit rien. Elle ne signifie pas que les tensions sont apaisées, ni que les motivations des mutins ont disparu. Au contraire, elle démontre que le pays se trouve maintenant sur une ligne fragile.
Les coups d’État ont ceci de particulier : même quand ils échouent, ils laissent des cicatrices et ouvrent la porte à d’autres tentatives. Ils montrent que le pouvoir n’est pas aussi solide qu’il le prétend. Ils encouragent ceux qui, dans l’ombre, pensent que la voie militaire peut remplacer la voie politique.
L’avenir du Bénin : encore incertain
Ce coup manqué ne clôt rien. Il ouvre plutôt une période d’incertitude.
Trois scénarios se dessinent :
Le président Talon entend le message
Il assouplit le système politique, réintègre l’opposition, accepte la compétition et permet aux électeurs de choisir librement.
Ce serait le scénario le plus pacifique — mais aussi le moins probable, au vu de son parcours récent.
Il s’enferme davantage dans l’autoritarisme
Ce scénario est souvent observé ailleurs : après une tentative de coup d’État, les dirigeants renforcent encore le contrôle, musèlent davantage les voix critiques, répriment les figures suspectes.
C’est une fuite en avant dangereuse, car elle aggrave les tensions.
Les tensions débouchent sur une nouvelle tentative
Si rien ne change, si les frustrations restent les mêmes, si les réformes ne sont pas engagées, il est probable que la situation se reproduise. L’histoire politique du continent le montre : lorsqu’un premier coup d’État échoue, un second finit souvent par réussir si les causes profondes ne sont pas traitées.
« Les choses ne sont pas finies »
Le coup d’État manqué au Bénin doit être lu pour ce qu’il est : un avertissement, un signal rouge, une alerte sérieuse à Patrice Talon et à son système politique. Il rappelle que la démocratie ne se limite pas à un discours, mais à des actes : une véritable ouverture, une compétition honnête, un respect des adversaires et des citoyens.
Tant que des dirigeants décideront eux-mêmes des partis autorisés à concourir, tant qu’on éliminera arbitrairement ceux qui représentent un danger électoral, tant que l’accès au pouvoir sera verrouillé, alors oui les coups d’État, les rebellions, les mutineries continueront de surgir.
Ce qui s’est passé au Bénin n’est ni un accident isolé ni une simple turbulence.
C’est un avertissement.
Les choses ne sont pas encore finies. L’avenir nous dira si la leçon sera comprise.
Jean Pierre Ombolo

