Le Burkina Faso est depuis plusieurs années en proie à une escalade de violence djihadiste qui déstabilise profondément le pays. Dans ce contexte déjà fragile, de récents événements soulignent une dimension particulièrement inquiétante : l’implication de milices d’autodéfense, soutenues par le gouvernement, dans des massacres de civils, notamment au sein de la communauté peule. Le dernier incident en date, faisant état d’une centaine de victimes, ravive de douloureux souvenirs et soulève de graves questions sur la stratégie adoptée et ses conséquences à long terme.Des Milices d’Autodéfense Accusées de Bavures SanglantesL’information, relayée par des sources locales et des organisations de défense des droits humains, est alarmante. Des milices d’autodéfense, formées et armées pour soutenir l’armée burkinabè dans sa lutte contre les groupes armés terroristes, sont accusées d’avoir perpétré des exactions massives contre des civils peuls. Ces actes ne sont malheureusement pas isolés, des incidents similaires ayant déjà été documentés par le passé.Le modus operandi semble souvent le même : des attaques ciblées contre des villages ou des campements peuls, justifiées par des soupçons de complicité avec les djihadistes. Cette stigmatisation d’une communauté entière, basée sur l’origine ethnique, est extrêmement dangereuse et risque de fracturer davantage le tissu social burkinabè.La Communauté Peule : Victime d’Amalgames DangereuxIl est crucial de souligner que la communauté peule au Burkina Faso est diverse et ne saurait être réduite à un soutien monolithique aux groupes djihadistes. Si certains individus peuvent être impliqués, pour diverses raisons (adhésion idéologique, contrainte, etc.), il est injuste et contre-productif de généraliser et de considérer l’ensemble de cette population comme complice de l’ennemi.Cette stigmatisation s’enracine dans des perceptions et des préjugés anciens, exacerbés par le contexte sécuritaire actuel. Les groupes djihadistes, souvent implantés dans des zones où vivent des populations peules, exploitent parfois les tensions intercommunautaires et les sentiments de marginalisation pour recruter ou obtenir un soutien logistique. Cependant, cela ne justifie en aucun cas les représailles aveugles contre des civils innocents.Des Bavures aux Conséquences Désastreuses pour la Lutte AntijihadisteCes « bavures », loin de faciliter la lutte contre les djihadistes, risquent au contraire de la compliquer considérablement et de lui donner une dangereuse coloration communautaire :Alimentation du cycle de la violence : Les massacres de civils peuls créent un sentiment de vengeance et de colère au sein de cette communauté. Des individus, initialement neutres ou même opposés aux djihadistes, pourraient être tentés de rejoindre les rangs des groupes armés par esprit de revanche ou pour assurer leur propre protection.Perte de confiance de la population : Lorsque les forces censées protéger les civils se transforment en bourreaux, la confiance de la population envers l’État et ses alliés s’érode. Cela rend plus difficile la collecte de renseignements, la coopération locale et, in fine, l’efficacité de la lutte antiterroriste.Propagande djihadiste renforcée : Les groupes djihadistes exploitent habilement ces exactions pour alimenter leur discours victimaire et justifier leur lutte. Ils présentent le gouvernement et ses milices comme des ennemis de la communauté peule, renforçant ainsi leur base de soutien et leurs capacités de recrutement.Fracture sociale et communautaire accrue : Ces violences intercommunautaires exacerbent les tensions préexistantes et minent la cohésion nationale. La lutte contre le djihadisme ne peut être efficace que si elle est menée dans un cadre d’unité et de confiance entre les différentes composantes de la société burkinabè.Un Impératif : Rompre avec la Logique de la Violence CommunautaireIl est urgent que le gouvernement burkinabè prenne des mesures fortes pour mettre fin à ces exactions et recadrer la stratégie de lutte contre les djihadistes. Cela passe par :Une enquête rigoureuse et transparente sur les massacres de civils, avec la traduction en justice des responsables, y compris au sein des milices d’autodéfense.Un encadrement et une formation renforcés des milices d’autodéfense, en insistant sur le respect des droits humains et du droit international humanitaire.Une stratégie de communication inclusive visant à déconstruire les amalgames et à promouvoir le dialogue et la réconciliation entre les communautés.Une approche sécuritaire qui distingue clairement les civils des combattants, en privilégiant le renseignement et les opérations ciblées plutôt que les représailles collectives.Des efforts pour répondre aux griefs et aux besoins des communautés marginalisées, afin de réduire leur vulnérabilité à l’embrigadement par les groupes djihadistes.En persistant dans une logique de suspicion et de violence communautaire, le Burkina Faso risque de s’enliser dans un cycle infernal qui profitera aux seuls groupes terroristes. La lutte contre le djihadisme doit être menée dans le respect des droits de tous les citoyens, sans distinction d’origine ethnique, sous peine de compromettre durablement la paix et la sécurité du pays.
Jean Pierre Ombolo